Ca y est nous y voilà, nous sommes en Alberta. Point stratégique de notre périple puisque c'est dans cette province que nous verrons les Rocheuses pour la première fois.
Afin de prolonger l'attente délicieuse, nous prenons la route du nord, direction le parc provincial des Dinosaures. Les fossiles de vieux reptiles nous intéressent moins que le paysage, qui ressemble sur les photos à un grand canyon aride.
Et l'arrivée est en effet saisissante. Nous roulons depuis 200km sur une route plate, au milieu de champs vides, mus par quelques pompes à pétrole qui hochent lourdement leur grosse tête métallique et nous commençons, pour tout dire, à nous ennuyer un peu dans ces prairies albertaines. Alors que je suis des yeux notre avancée sur google maps, alors que nous devrions bientôt y être mais que rien à l'horizon ne rompt la monotonie du paysage, la terre soudain s'arrête et plonge dans un immense gouffre. Pas de façon verticale, comme on imagine le Grand Canyon, mais plutôt comme si la terre avait englouti le sol, comme si elle s'était effondrée sur elle-même et s'était érodée avec le temps, dégringolant à l'intérieur d'elle-même en d'inombrables escaliers irréguliers.
Nous passons une journée à se promener dans ce paysage lunaire, à plisser les yeux dans cette lumière crue pour scruter les reliefs et les couleurs de la roche, à escalader ces collines de terre sèche, à se prendre pour des explorateurs d'un autre temps.
Nous reprenons ensuite la route à travers les plaines, cap à l'ouest. Nous découvrons alors ces routes vallonées et absolument linéaires qui te donnent la sensation que ce n'est pas toi qui avances mais le paysage qui recule.
Et le jour suivant, magie : les Rocheuses sont en vue ! Nous les apercevons, du haut d'une colline, au loin. Si loin et en même temps déjà imposantes. Nous nous émouvons un peu, comme si la terre promise se dévoilait.
Mais nous nous contentons de cet aperçu timide et posons notre van à Calgary, tout proche du Stampede (c'est-à-dire dans une rue, entre un cimetière et un atelier de "Weed man").
Et là... C'est la première déception de notre voyage. Peut-être car nous en attendions trop. Mais le Stampede de Calgary, "The greatest outdoor show on Earth", c'est avant tout une immense fête forraine, dont tu paies l'entrée 18$, pour avoir accès :
- à l'enceinte
- à un hangar dans lequel sont présentés des jolies vaches, des jolis poneys, des jolis moutons...
- une carrière couverte dans lequel tu peux voir des concours de chevaux miniatures en mini calèches menés par des vieilles mamies trop maquillées en costumes à paillettes.
- une salle avec des concours de chiens qui rattrappent des frisbee (ce qui, fort curieusement, rend la foule hystérique... Nous pensons être passés à côté de quelque chose).
Pour le rodéo, les cow-boys et les vrais trucs western pour lesquels nous étions venus... C'est dans la grande carrière, et c'est 28$ en prix réduit (comprendre super mal placés).
Un peu blasés par notre journée, nous nous résignons et prenons nos places pour le rodéo, histoire de n'être pas venus pour rien.
Nous ne le regrettons pas : le rodéo dure tout l'après-midi, l'ambiance est bonne, et c'est quand même du grand spectacle. Car le rodéo, comme son nom ne l'indique pas, c'est en fait cinq disciplines différentes : le Tie Down Roping (un cow boy doit attrapper un veau au lasso, sauter de son cheval et lui attacher les trois pates le plus vite possible, généralement en moins de 5 secondes), le steer wrestling (presque pareil sauf que le cow boy doit immobiliser le veau à bras le corps), le Saddle bronc (rodéo avec une selle), le bareback riding (le rodéo que l'on connait, à cru), le barrel racing (épreuve féminine où les cow girls doivent faire le tour de trois barrils le plus rapidement possible), et le bull riding (du rodéo sur des taureaux). Bon, je tiens quand même à faire une petite parenthèse sur le rodéo, qui représente le travail des cow boys dans les champs mais qui a été conçu clairement comme un divertissement. Etant absolument contre la corrida, par exemple, je m'étonne de m'arranger avec ma conscience devant le rodéo en me disant que "oui mais aucun animal ne meurt pendant un rodéo". C'est vrai, mais on serre quand même les parties génitales des bêtes pendant 10 secondes juste pour les faire ruer et se débattre... Voilà voilà. On peut être contradictoire mais lucide.
Mais revenons à notre Stampede... Le rodéo c'était bien. Mais c'est le soir que ça dérape. Nous avons nos places pour le Evening Show. Et, comment dire... cela nous laisse pantois. Après 1h30 de courses de chars (sympa mais 45min auraient suffi), des trucks surgissent de nulle part, trainant des bouts de scène qui s'assemblent pour former une scène immense, des cables tendus au dessus des gradins amènent des ponts de lumière gigantesques, des écrans aveuglants. En dix minutes, la carrière de sable est remplacée par un set up digne de Beyoncé.
Et là, attention car cela va aller très vite : une musique pop retentit dans les caissons de 12 pieds de haut, les lumières s'allument, des plateformes se soulèvent de sous la scène, des feux d'artifice éclatent et 120 enfants, les Young Canadians, sorte de Star Academy d'élite pour mineurs débarquent de toutes part sur scène en chantant, en dansant tous ensemble, dans un défilé improbable de costumes de fleurs, de cow-boys, de police montée, de plumes, de strass et de paillettes. Alors que le numéro arrive à son apogée, une poupée barbie surgit des ténèbres sous les applaudissements et tous les enfants souriants forment une haie d'honneur pour la dame à la chevelure d'or et aux lèvres siliconées.
Et la dame chante aussi, et elle parle trop fort dans son micro de son bonheur incommensurable d'être ici et d'animer cette soirée exceptionnelle. Et les numéros s'enchaînent, redoublant d'extravagance et de stimulis sonores et visuels. Pendant longtemps. Trop longtemps. Des feux d'artifice toutes les cinq minutes, des pianos qui s'élèvent dans le ciel, des enfants sous speed qui bougent à l'unisson. Ils ont même fait venir Eddie the Eagle qui a déboulé en volant au dessus du public, à ski, qui est descendu dans la foule pour serrer des mains et qui est reparti comme ça, sous les feux d'artifice (forcément) et la musique trop forte.
Nous ressortons donc de ce show à l'américaine et kitsh à souhait un peu hagards, en état de choc post-traumatique, et errons longtemps dans la fête forraine, parmi les gens qui ont l'air d'avoir trouvé cela normal.
Nous restons deux jours de plus à Calgary pour faire une révision de Big Boy avant les Rocheuses. C'esr un peu un coup dur même si nous nous y attendions, le coup de la main d'oeuvre en Alberta est presque deux fois plus chère qu'à Montréal et l'on ressort de chez Braddie le garagiste avec une facture salée, qui nous oblige à adopter quelques restrictions budgétaires.
Mais nous tâchons d'oublier tout cela et sortons vite de la ville pour notre première approche des Rocheuses : Le parc national des Lacs Waterton...